L’Europe, malgré tout
Ah, vous ne saviez pas ? L’Europe fait rêver. Pour s’en convaincre, il suffit de compter les migrants qui sont prêts à mourir pour la rejoindre, tous les étudiants qui veulent y poursuivre leurs études ou les nuées de touristes qui déferlent sur elle chaque été. L’Europe fait rêver, sauf en Europe. Tiens, tiens ! En Europe, on aime blâmer l’Europe. À deux mois des élections européennes du 9 juin, pour son n°60, Pour l’Éco se plonge dans l’étrange lien qui nous lie à elle.
Accuser l’UE de chaque mal dont souffre chaque pays membre, lui reprocher son déficit démocratique, moquer sa technocratie, honnir son ordo-libéralisme (p.22) rigide est devenu un comportement si répandu chez les responsables politiques et syndicaux, tout particulièrement en France, que s’est installée peu à peu la méfiance. Les baby-boomers diront que les idéaux pacifiques et universels nés après la Seconde Guerre mondiale méritaient mieux.
Une bonne nouvelle, tout de même. Il reste de nombreux eurosceptiques, mais même eux se sont habitués à l’UE (p.18) et depuis que les conséquences du Brexit pour les Britanniques sont connues, l’idée de quitter l’Union est moins en vogue, sans avoir disparu (p.30). Toutes et tous, y compris les plus farouches europhobes, reconnaissent que le Parlement européen (p.23), poumon démocratique de l’Union, gagne rapidement en influence. C’est lui qui choisit le chef de la Commission européenne (p.19).
Si la relation n’est pas passionnelle, c’est que l’Union a du mal à dessiner une identité propre à côté des identités nationales fortes et anciennes de ses pays membres. Soyons pragmatiques, cet « européanisme banal » (p.21) est déjà en soi une victoire. On est loin de L’Auberge espagnole (p.26), mais c’est peut-être que les jeunes de 2024 sont trop proches de l’Europe pour la voir. Après tout, ils ne se sont pas battus pour le rêve, contrairement aux Allemands et aux Français de 1950 ou aux Ukrainiens de 2022. Si on cherche de l’enthousiasme, écoutons l’Ukraine (p.28) et son envie d’Europe, elle qui sait pourtant bien que le volet agricole de son adhésion ne sera pas facile du tout.
Pour commencer à se construire des émotions européennes, il n’est pas inutile de se rappeler que sans l’Union, nous serions de bien petits pays face à la Chine, à la Russie et aux États-Unis. En matière de commerce et de concurrence, l’UE est une grande puissance. Les normes qu’elle produit – et contre lesquelles tempêtent nos fermiers – sont reprises dans le monde entier dans ce qu’on appelle « l’effet Bruxelles » (p.20). Elle est sans doute parfois une puissance naïve (p.24), faute d’une doctrine stratégique digne de ce nom, mais l’agression russe en Ukraine est en train de la déniaiser.
Bonne lecture.
Stéphane Marchand
Rédacteur en chef